Systema et neurones miroir

July 03, 2012 by Andrea Bisaz  

Traduit par Alexandre Jeannette

Note du traducteur :  J’ai fait quelques coupes dans le texte original (trois paragraphes) afin d’obtenir le texte le plus clair possible. Les paragraphes concernés entraient dans un niveau de détails qui ne nous semblait pas nécessaire à la compréhension du sujet.

Il est toujours intéressant de voir qu’une observation attentive du comportement humain peut déboucher sur des principes de combat à la fois efficaces et discrets. Ce dont je vais parler n’a rien de nouveau pour les pratiquants expérimentés, nous avons déjà entendu Mikhail Ryabko et Vladimir Vasiliev parler de ces principes à de nombreuses reprises. Ce qui est en revanche fascinant c’est de voir que les recherches actuelles en neurosciences valident ces principes. Comprendre de manière simple comment les choses fonctionnent (ou pourraient fonctionner) dans le système nerveux peut nous permettre d’avoir un entrainement plus précis et plus fructueux.

Vous êtes vous déjà demandé de quelle manière nous pouvions percevoir les mouvements des gens, leurs intentions et leurs émotions ? Comment nous pouvions interpréter les expressions faciales d’autrui et contrôler l’expression de nos propres émotions ? Peut-on vraiment se fier à notre intuition ? Qu’est-ce qui rend nos mouvements visibles ou invisibles ? Comment nos pensées conscientes et notre tension interfère avec nos actions intuitives subconscientes ? Où la volonté de combattre prend-elle sa source ?… Pour résumer : qu’est-ce qui est à l’origine de l’efficacité du Systema ?

Les réponses à ces questions ont une chose en commun : les neurones miroirs.

Jusqu’à présent nous pensions que les intentions et les mouvements de notre adversaire étaient évalués de la manière suivante : nous observons notre adversaire puis nous en créons une image mentale. Ses déplacements et ses expressions sont ensuite analysés par le biais d’un raisonnement intellectuel. Ce raisonnement est fondé sur nos connaissances et notre vécu. La découverte des neurones miroir nous a montré que notre cerveau a des moyens beaucoup plus élégant et efficace d’atteindre ce résultat.

Pour résumer, lorsque nous observons une autre personne notre cerveau « imite » immédiatement les mêmes actions que cette personne en utilisant les neurones miroir. Cette imitation ne se traduit pas dans les muscles et se fait de manière inconsciente. Tout le reste en revanche, fonctionne comme si nous étions en train d’accomplir la même action. Nos cerveaux vont activer des hormones et relier à ce mouvement des émotions, des sentiments et des souvenirs comme si vous nous venions de faire le même. La seule sensation consciente que l’on peut avoir (le cas échéant) est une intuition. Cette méthode élégante nous permet de comprendre immédiatement l’intention de l’adversaire via nos propres intentions, celles que nous aurions en utilisant les mêmes mouvements, les mêmes expressions faciales, etc.

Comme nous l’avons vu dans mon précédent article notre cerveau créé une réponse à l’action observée et réfléchie par les neurones miroirs avant même que nous en soyons conscient. Si nous parvenons à rester calme et relaxé, notre cerveau passe en « pilote automatique ». Au moment où nous réagissons notre cerveau est déjà en action : nos actions se mêlent à celles de l’adversaire. Afin de pouvoir activer nos muscles et éviter la confusion notre cerveau a des zones spécialisées qui suivent nos mouvements et les distinguent des mouvements réfléchies par les neurones miroirs [en gros, notre cerveau pensent gentiment à faire la distinction entre nos mouvements et ceux de l'adversaire n.d.t].

Il est intéressant de noter que si la réaction de notre corps correspond à ce qui était voulu, l’image de nous même dans le cerveau disparaît ce qui nous permet de nous consacrer totalement à notre adversaire. La seule image active dans notre cerveau est celle de notre adversaire. En revanche si nous faisons une erreur ou sommes surpris, la visualisation de notre action demeure, nous donnant l’opportunité d’apprendre et de rectifier notre erreur. Notre système nerveux est constamment en train d’observer nos performance et de les comparer à nos attentes. [Pour résumer : si ce que vous faites fonctionne correctement vous cessez de pensez à ce que vous êtes en train de faire ce qui vous permet de concentrer toute votre attention à votre adversaire. Si vous faites une boulette vous êtes obligé de "réfléchir" à ce que vous faites et vous accordez donc moins d'attention à votre adversaire n.d.t]

Étant donné que nos réponses sont très influencées par notre entrainement et nos expériences passées, ces neurones miroirs fonctionnent mieux lorsque nous faisons face à des adversaire qui ont un entrainement et des expériences équivalentes. Dés que nous passons des barrières culturelles ou sexuelles les réponses de nos neurones miroirs devront être accompagnées d’une réflexion fondée sur les informations que nous avons stockées et nos expériences passées. Ce qui est un processus beaucoup plus lent.

C’est pourquoi les mouvements naturels et en apparence anodin d’un pratiquant de Systema sont plus difficiles à analyser pour l’adversaire dont le temps de réaction sera retardé [ou comme le disent nos instructeurs, "quand il voit ton poing, il est déjà dans sa gueule n.d.t]. Cela va troubler votre adversaire et votre action sera « invisible » à ses yeux jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Le temps passé à analyser vos intentions retarde d’autant sa réaction. C’est ce qui rend une action « invisible ». Le cerveau de votre adversaire ne peut pas saisir le but de votre mouvement. C’est le cerveau qui « voit » (les yeux ne font que transmettre un signal lumineux) et dans ce cadre les mouvements du pratiquant de Systema peuvent être considérés comme « invisible ».

Les expressions du visage sont particulièrement intéressantes à analyser car elles sont crées par deux parties du cerveau : le cortex prémoteur (qui gère le mouvement) et le cortex insulaire (qui emmagasine et traite les émotions). En d’autres mots elles sont le produit de notre conscient et de notre inconscient. Lorsque nous analysons les expressions faciales de quelqu’un nous le faisons par le biais de nos neurones miroir qui sont connectés aux mêmes parties du cerveau. Cela nous permet de lire les deux facettes de l’expression : consciente et inconsciente. C’est ainsi que nous pouvons voir quand une expression est forcée même si nous ne pouvons pas l’expliquer. Un sourire de façade est exactement cela, une façade. Cela fait partie de ces situations où vous devez vous fiez à votre instinct ! Rappelez-vous également que les postures du corps indiquent également l’état émotionnel de la personne observée.

Les neurones miroirs ne répondent pas qu’aux stimuli visuels, ils répondent au son, au toucher, à la température et aux symboles abstraits comme l’écriture et probablement les changements dans le champs électromagnétique. C’est de cette manière que nous pouvons apprécier un livre ou nous impliquer émotionnellement dans une histoire. C’est la raison pour laquelle certains sons nous font dresser les cheveux sur la tête ou au contraire nous relaxe. C’est également la raison pour laquelle certains contacts nous semblent agressifs alors que d’autres semblent inoffensifs.

[...]

En plus des stimulis extérieurs, nos neurones miroirs peuvent également être stimulé par notre imagination. C’est ce qui arrive lorsque nous rêvons éveillé et que nous visualisons un combat par exemple. Nous le vivons intérieurement : activation des hormones, émotions, etc…

Comment pouvons nous utiliser les connaissances décrites ci-dessus dans notre entrainement ?

1. Le calme

Le premier aspect et sans doute le plus important est que nous devons nous entrainer calmement (en étant décontracté). La présence de tension dans notre esprit, quelle que soit son origine (peur, impatience, etc.), va inhiber l’action des neurones miroir et donc nous empêcher de nous « connecter » à notre adversaire et de le jauger correctement.

Le comportement et l’agressivité de votre adversaire peut-être contagieuse et il convient de minimiser ce phénomène en prenant conscience de ce qui provoque cette contagion chez vous. Il est important de découvrir quels sont les émotions et les réactions qui vont engendrer du stress en nous. Le Systema propose de nombreux exercices de respiration qui peuvent nous aider à découvrir et surmonter les causes de cette « contagion ».

Lorsque vous travaillez sur vos réactions vous travaillez également sur ce qui les provoque. Un entrainement qui ne vous propose que des techniques statiques hors-contexte (sans être reliées à des menaces physiques) va diminuer votre temps de réaction.

Dans le Systema nous avons tendance à travailler en mode « jeu » ce qui signifie que notre réponse est reliée aux mouvements de notre partenaire. C’est impératif pour diminuer le temps de réaction dans l’apprentissage du combat.  C’est ce que nous pouvons voir chez des lionceaux qui « jouent » à se chasser les uns les autres. Si nous utilisons de temps en temps des stimulis réalistes nous pourrons entrainer une réponse calme à une action agressive en intervenant entre l’action de nos neurones miroirs et notre réponse.

C’est  pourquoi nous nous frappons si souvent [à l'entrainement n.d.t] afin de réduire la tension induite par la peur et entrainer des réponses calmes aux menaces physiques.

2. Observation

On nous apprends souvent à ne pas regarder directement un adversaire mais à utiliser notre vision périphérique. Cela prend tout son sens au milieu d’un combat car la vision périphérique se focalise davantage sur le mouvement que sur des expressions ou des formes spécifiques et entraine une relaxation psychologique. La vision périphérique nous permet également de suivre plusieurs agresseurs tout en continuant à activer nos neurones miroirs. Il y a toutefois des situations ou l’observation du visage et du corps nous permettra d’obtenir des informations plus pertinentes. C’est par exemple important lors des interactions sociales et quand nous essayons de désamorcer une situation. Pour faire simple : faites preuve de bon sens.

3. Mouvement

L’un des principes les plus efficaces et les plus fascinants du Systema est l’utilisation de mouvements anodins là où une personne va traditionnellement utiliser de l’agression et de la tension. Comme nous pouvons le voir à partir de notre connaissance des neurones miroirs c’est très malin à plusieurs niveau :

_Premièrement nous provoquons de la confusion chez notre adversaire qui tente de trouver  la logique de nos attaques. Mêmes les combattants expérimentés seront en difficultés car leurs réflexes de défenses ne seront pas activés correctement.

_Le calme de nos actions peut également réduire la vitesse des attaques adverses par contagion (grâce aux neurones miroirs) ce qui va réduire leur rythme et réduire l’agressivité de l’adversaire.

_Ces mouvements relâchés vont nous permettre d’accélérer en cas de besoin mais ils vont également améliorer la perception qu’ont nos neurones miroirs de l’adversaire. Nous ne faisons plus qu’un avec eux ce qui permet de les « lire » et d’anticiper leurs mouvements

_Une autre des qualités du Systema est l’idée de toujours « laissez trainer quelque chose ». En laissant des parties de votre corps en contact avec l’adversaire sans que le geste soit menaçant nous pouvons rapidement profitez d’une faille pour contre-attaquer, un peu comme un cheval de Troie.

Nous savons également d’après notre connaissance des neurones miroirs que nous apprenons d’abord via des mouvements grossiers qui ne seront pas toujours adaptés et souvent tendus. Plus nous devenons compétent plus nous pouvons affiner nos mouvements. C’est la raison pour laquelle un pratiquant expérimenté travaillera avec plus de précision et moins d’effort qu’un débutant.

4. Sensation et visualisation

Notre compréhension actuelle des neurones miroirs nous apprends qu’ils sont multimodaux : ils transmettent des informations visuelles, tactiles, odorantes, la thermique, auditive et bien plus encore. Il paraît donc judicieux de s’entrainer en utilisant tout nos sens au lieu de nous contenter de la vision (et de la réflexion). C’est pourquoi Mikhail [Ryabko] et Vladimir [Vasiliev] nous apprennent à ressentir plutôt qu’à réfléchir pendant l’entrainement (analyser avant et après l’entrainement et ressentir pendant l’entrainement).

Afin de ne pas surcharger votre système nerveux, soyez conscient de vos sens et en étant calme vous laisser votre esprit les prioriser. Faites attention durant l’entrainement à tout vos sens et aux informations qu’ils vous apportent. Vous pouvez sentir un adversaire avant de le voir, vous pouvez sentir sa chaleur corporelle, sa respiration… Utilisez-le à votre avantage en étant décontracté, calme et en tirant ainsi partie au maximum de l’action de vos neurones miroirs.

Notez également que la visualisation peut-être un bon complément pour votre entrainement, car cela active vos neurones miroirs alors que vous êtes « au repos ».

De plus n’oublions pas que lorsque nous faisons une erreur lors de l’entrainement nous gardons cette image en tête afin de pouvoir la corriger. C’est là toute l’élégance et la beauté de notre système nerveux.

L’apprentissage du Systema nous apprends à nous battre avec nos adversaires et non contre eux. Les informations nécessaires sont déjà  présentes dans notre cerveau, nous devons juste diminuer l’interférence consciente et permettre à notre entrainement de prendre le relai.

Notre cerveau est le lieu où se déroulent les confrontations et où se décide leur issue.

Andrea Bisaz Dr. Andrea Bisaz was a Systema Instructor at Systema Australia, in Melbourne. He had been training and teaching Systema since 2005 and Dr. Bisaz also worked at the Melbourne Sports Clinic.
Andrea passed away in July 2014.